La charité, visage de l’Évangile

Retrouvez l’édito de Mgr James pour le mois de novembre 2025.

La fête de Toussaint est proche. Dans sa première exhortation apostolique, Léon XIV évoque plusieurs saints, certains très connus comme saint Vincent de Paul, d’autres moins connus. Il va même au-delà des personnes canonisées :  il évoque par exemple sœur Emmanuelle, ou encore des institutions catholiques. Celles-ci ont en commun « l’amour des pauvres ». Léon XIV reprend et achève le travail de son prédécesseur, le pape François qui avait commencé à écrire un texte « sur l’attention de l’Église envers les pauvres et avec les pauvres, intitulée « Dilexi te », imaginant que le Christ s’adresse à chacun d’eux en leur disant : « tu as peu de force, peu de pouvoir, mais « moi, je t’ai aimé » (Ap3,9) » (n°3).

La lettre de Léon XIV a été publiée aussitôt après la belle journée de rentrée, dans notre diocèse, des personnes et groupes engagés dans la Diaconie de l’Église : membres des aumôneries d’hôpitaux et de cliniques, membres du Service Évangélique des Malades, de la pastorale des personnes avec un handicap, membres des associations caritatives et de solidarité, membres des diaconies paroissiales. La lettre « Dilexi te » encourage nos engagements. Cette année, chaque paroisse est invitée à mettre en œuvre ses orientations paroissiales et missionnaires. Dans ces orientations, quelle place pour la diaconie ? De manière forte, le Pape souligne qu’il n’est pas possible de se dire chrétiens sans être au service des plus vulnérables. Il y a une grande actualité à cette mission. Les rapports des Petits Frères des Pauvres, du Secours Catholique, du CCFD – Terre Solidaire et de tant d’autres ne cessent de le répéter. Et le propos du pape Léon XIV est ferme : « toute communauté d’Église, dans la mesure où elle prétend rester tranquille sans se préoccuper de manière créative et sans coopérer avec efficacité pour que les pauvres vivent avec dignité et pour l’intégration de tous, court le risque de se désagréger… Elle finira par être totalement dominée par la mondanité spirituelle, dissimulée sous des pratiques religieuses, avec des réunions infécondes et des discours vides » (n° 113). Cela fait écho à la parole de saint Grégoire le Grand. Celui-ci méditait un jour sur l’invitation de Jésus aux disciples, à partir deux par deux. Et il commente : « le Seigneur envoie prêcher ses disciples deux par deux pour nous suggérer, sans le dire, que celui qui n’a pas la charité envers autrui ne doit pas entreprendre le ministère de la prédication ».

« L’amour des pauvres » est constitutif de notre foi chrétienne. Pour l’affirmer, Léon XIV fait référence à l’Écriture Sainte. « De notre foi au Christ qui s’est fait pauvre, et toujours proche des pauvres et des exclus, découle la préoccupation pour le développement intégral des plus abandonnés de la société. Je me demande souvent pourquoi, malgré cette clarté des Écritures à propos des pauvres, beaucoup continuent à penser qu’ils peuvent tranquillement les exclure de leurs préoccupations » (n° 23). Faut-il nous rappeler, les paroles du Christ : « À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13, 35). Ou celles de saint Paul : « ce qui importe, c’est la foi agissant par la charité » (Ga 5, 6)). Ou de saint Jacques : « À quoi bon dire qu’on a la foi, si l’on n’a pas les œuvres ? » (Jc 2, 14). Léon XIV poursuit en parcourant toute l’histoire de l’Église, et les grandes figures de saints qui ont eu cet « amour des pauvres », depuis les premiers siècles jusqu’à aujourd’hui. « Il est indéniable que la primauté de Dieu dans l’enseignement de Jésus s’accompagne d’un autre point ferme : que l’on ne peut aimer Dieu sans étendre son amour aux pauvres. L’amour du prochain est la preuve tangible de l’authenticité de l’amour pour Dieu » (n°26).

Le pape Léon XIV attire notre attention sur un autre point. Il nous rappelle la phrase du Roi qui conclut le discours sur le jugement dernier : « ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40 ). Et il commente : « Nous ne sommes pas dans le domaine de la bienfaisance, mais dans celui de la Révélation : le contact avec ceux qui n’ont ni pouvoir ni grandeur est une manière fondamentale de rencontrer le Seigneur de l’histoire » (n°5). C’est ce qui s’est passé pour un homme de notre région, Vincent de Paul. Issu d’un milieu très simple, celui-ci est doué, il parle bien ; il a de l’ambition, il fréquente la haute société. Alors qu’il est précepteur dans une famille aristocrate, on l’appelle près d’un pauvre qui mourait. Cet homme se confesse et part en paix. Vincent de Paul est bouleversé et se rend disponible aux habitants du village. Et voilà des gens nombreux, avides de confier leur misère, leurs souffrances, leur péché. C’est une révélation : lui, Vincent de Paul, flatté de bonnes relations, découvre l’immense besoin des plus petits. Et surtout il rencontre, à travers eux, le Christ miséricordieux.

« Nous ne sommes pas dans le domaine de la bienfaisance, mais dans celui de la Révélation ». Souvent nous pensons nos engagements caritatifs, notre souci des personnes en difficultés, comme une conséquence, comme une « mise en application » de la foi chrétienne. Le Pape nous entraîne plus loin : la rencontre avec les personnes en précarité ou en situation difficile, est un lieu-source pour notre foi, la renouvelle et l’approfondit. Car, à travers les personnes fragiles, c’est le Christ que nous rencontrons. Si saint François d’Assise a rencontré le Christ dans la petite chapelle de Saint-Damien à Assise, ce n’est pas cette rencontre qu’il cite dans son Testament. Il parle de sa rencontre avec le lépreux à l’entrée de la ville : « Le Seigneur me donna ainsi, à moi frère François, de commencer une vie nouvelle. Lorsque j’étais dans les péchés, il me semblait trop amer de voir les lépreux. Mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux ; et je les soignai de tout mon cœur. Au retour, ce qui m’avait paru si amer, s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps ». En rencontrant le lépreux, François rencontre aussi le Dieu miséricordieux. Ce sont des expériences entendues dans le diocèse : « La rencontre de la dame dont j’ai poussé le fauteuil à Lourdes a changé ma foi », ou encore « le service au Pain de l’amitié m’a ouvert les yeux sur la misère du monde et sur le Christ ». Sans doute, nos engagements sont le lieu de nos épuisements aussi : tant de misère, tant d’épreuves dans certaines familles et si peu de temps à leur consacrer ! C’est l’expérience de dépouillement qui nous fait rejoindre celui de Jésus, il s’est appauvri. Chaque fois que nous entrons dans cette expérience de dépouillement, nous entrons dans la pâque du Christ. « La charité n’est pas une voie facultative, mais le critère du vrai culte » (n°42). Les discours que nous entendons parfois autour de nous, dans les médias, ne nous encouragent pas toujours. La tentation est de se résigner, de ne plus voir, de passer à côté. La diaconie de l’Église n’est pas toujours la plus valorisée. Alors, justement !  « Le fait que l’exercice de la charité soit méprisé ou ridiculisé comme s’il s’agissait d’une obsession de quelques-uns et non du cœur brûlant de la mission ecclésiale, me fait penser qu’il faut toujours relire l’Évangile pour ne pas risquer de le remplacer par la mentalité mondaine » (n° 15).

Le souci de la solidarité, de l’attention aux plus faibles, de la charité ne peut être délégué à quelques spécialistes ou organismes. Nous ne pouvons pas « vivre la charité par procuration ». La foi chrétienne n’est pas pleinement en acte si, d’une manière ou d’une autre, nous ne portons pas le souci des plus petits de nos frères. C’est vrai pour les plus jeunes : je suis reconnaissant aux chefs et aux cheftaines scoutes de vivre cela dans leurs unités ; j’ai de la gratitude pour les animateurs qui proposent aux confirmands, un geste, une action, une visite près de nos frères et sœurs en difficultés : cela fait partie de la démarche de foi et la nourrit. Je remercie ceux et celles qui lancent et soutiennent les groupes « place et parole des pauvres », dans le diocèse : la place et le témoignage de foi de nos frères et sœurs en précarité dans nos communautés est majeur. Car nous grandissons ensemble dans la foi et dans l’amour. L’Évangile du Christ le rappelle : « lavez-vous les pieds les uns aux autres » (Jn 13, 14), nous nous mettons au service les uns des autres. Il ne s’agit pas de faire pour, mais de faire avec nos frères et sœurs en précarité. Merci aux paroisses, aux écoles, aux mouvements et aumôneries, de vivre cet élan. « Une Église qui ne met pas de limites à l’amour, qui ne connait pas d’ennemis à combattre, mais seulement des hommes et des femmes à aimer, est l’Église dont le monde a besoin aujourd’hui » ( N°120).

+Jean-Paul James

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